Le droit à la déconnexion #2
Nos usages, nos besoins
La question du droit à la déconnexion se pose dans les entreprises depuis quelques années, pour répondre à deux phénomènes que sont l’hyperconnexion et l’infobésité. Il s’appliquait dans certaines entreprises avant le vote de la loi, dont vous retrouverez la généalogie dans cet article. Il s’agit ici d’apporter un éclairage sur les pratiques et usages en matière de numérique. Pour permettre de faire un auto-diagnostic de vos usages et aussi de lutter contre les effets négatifs de l’hyperconnexion. Pour continuer à sensibiliser sur la double notion de droit et de devoir vis-à-vis de la déconnexion, il s’agira d’apporter un éclairage sur nos besoins, pour être en mesure de reconnaitre l’essentiel du superflu, l’important de l’insignifiant.
” La vitesse d’évolution de notre cadre de vie donne l’impression que tout s’accélère.” Hubert Reeves
Un environnement en mutation
Nos premières boîtes mails, pour les plus anciens et anciennes d’entre nous, nos premiers téléphones portables, nos premières connexions internet ne sont pas très anciennes. Vingt-cinq ans environ. C’est donc à la fin du siècle dernier, dans les années 90, que se développent et se déploient ces technologies. Pour avoir les histoires détaillées, vous pouvez consulter les pages dédiées ici (pour le portable) et là (pour internet).
Et la révolution de l’usage nomade va avoir lieu en 2007 avec la commercialisation de l’iPhone. A partir de ce moment-là, nous avons la possibilité d’avoir un ordinateur, un appareil photo, et un téléphone, sur un même appareil qui tient dans la poche.
La première caractéristique cette la transformation numérique, c’est la rapidité de sa diffusion. C’est ce qui la distingue des révolutions technologiques précédentes. Elle a entrainé des changements et des modifications d’usage, de consommation, de vie sociale, et des modifications dans le monde du travail également. Téléphones, tablettes et les applications qui y sont liés ont profondément modifié l’organisation des échanges à l’intérieur de l’entreprise, vers l’extérieur. Ils peuvent aussi conduire à une surcharge informationnelle et communicationnelle. Cette surcharge, pour un nombre important de salariés, déborde sur la vie privée.
Comme toute technique, les techniques de l’information et de la communication sont ambivalentes. Elle peut être aussi bénéfique que néfaste. Nous voyons bien sur le plan personnel les bienfaits de l’instantanéité, les connexions aux amis, à la famille, mais c’est aussi l’intrusion du travail dans la sphère privée. Et puis sur le plan professionnel, elles apportent aussi de la rapidité d’exécution, de recherche, mais aussi de la sur-sollicitation, de l’urgence et du stress. Pris isolément, il n’y a pas de risque à ces comportements. Mais le nombre, l’intensité, la répétition, la fréquence vont être des facteurs aggravants. Et ils peuvent déboucher sur des troubles de l’attention, de la concentration, de la mémorisation, dégradation ou manque de sommeil, stress qui peut déboucher sur des burn-out. Et peuvent aussi avoir des impacts sur la sphère professionnelle ou sur la sphère personnelle
Et vous ? quels sont vos usages des outils numériques ?
Cette porosité entre les sphères pro et perso a été facilitée par à la vitesse de diffusion des outils qui permettent ces accès à tout, tout le temps. Nous avons globalement de plus en plus d’écrans. Je vous pose aussi la question : vous, personnellement où en êtes-vous de vos usages numériques ? je vous propose, si vous le souhaitez, de faire un point très rapide de votre taux d’équipement, et votre degré de connexion avec ce questionnaire.
La conscience de nos actes ne va pas suffire à modifier nos actes eux-mêmes. Si elle est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Si nous ne modifions pas nos comportements, c’est parce que nous avons un bénéfice au maintien de ces comportements. Dans le rapport Transformation Numérique et Vie au Travail, Bruno Mettling insistait sur la nécessité d’un devoir de déconnexion. « Savoir se déconnecter au domicile est aussi une compétence qui se construit à un niveau individuel mais qui a besoin d’être soutenue au niveau de l’entreprise » écrivait-il. Mais tout le monde ne travaille pas dans une entreprise de plus de cinquante salariés, entreprises auxquelles s’appliquent la loi. Il évoquait notre rapport au temps, notre construction individuelle pour justifier de cette coresponsabilité entre un employeur et un salarié. S’il fait référence au temps et à la structuration temporelle, il ne donne pas plus d’éléments de compréhension, d’un élément, le temps, assez complexe. En effet, qu’est-ce donc que le temps ? Et surtout, qu’en faisons-nous ?
Que faisons-nous de notre temps ?
” Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais que je veuille l’expliquer à la demande, je ne le sais pas.” Saint-Augustin
Le temps est une matière bien étonnante. Il est difficile d’en avoir une définition unifiée : les physiciens ont leurs définitions, les historiens également, les philosophes, les psychologues aussi, et elles ne sont pas communes. Le temps résulte à la fois d’une construction individuelle, relative à nos perceptions, et à la fois d’une construction collective, d’une norme sociale. La difficulté, c’est que nous n’avons pas de sens pour le mesurer, l’appréhender, le percevoir, le sentir ou le ressenti. C’est une notion toute relative.
Et dans la façon dont nous l’occupons, nous avons chacun, chacune nos préférences. Nous faisons certaines activités par nécessité, d’autres par plaisir. Et ce n’est pas le temps qui devient important, mais c’est bien ce que nous en faisons. Et quand nous avons le choix, nous faisons : ce qui nous plait avant ce qui nous déplaît, ce qui va vite avant ce qui prend du temps, ce qui est facile avant ce qui est difficile, ce qui est urgent avant ce qui est important. Ce qui me plait, n’est pas la même chose que le voisin, ce qui va vite pour moi, n’est pas ce qui va vite pour le voisin, et ainsi de suite.
Nous avons des besoins différents…
Nous sommes également différents par nos besoins. C’est une notion importante dans la question de la construction identitaire et de l’identité. Maslow, que certains doivent connaitre, a, le premier, théorisé les besoins humains en les hiérarchisant, en allant des besoins physiologiques au besoin d’accomplissement de soi, en passant par le besoin de sécurité, d’appartenance et le besoin d’estime. Le défaut de cette présentation est un peu la verticalité avec la notion de hiérarchie.
Des travaux complémentaires ont permis de définir un système comprenant :
- Les besoins primaires : respirer, se nourrir, se protéger du froid
- Les besoins secondaires, non vitaux : de vie sociale, de distraction, de mobilité,
- Les besoins fondamentaux, de sens : ressentir, créer, penser, décider, croire
Et l’équilibre d’un individu suppose que les trois besoins coexistent et sont alimentés. Des manques de sommeil, d’alimentation, ont des impacts sur notre capacité à décider, un enfermement dans un processus de création peut aussi couper d’une vie sociale. Nous parlon alors de limites posées à notre équilibre. Et la notion de besoin est plus largement reliée aux notions de valeurs, à notre vision du monde.
Et la notion de besoin était déjà abordée avec l’Analyse Transactionnelle, discipline d’accompagnement née dans le milieu psychiatrique dans les années 50, du côté de Palo Alto, et dont les travaux irriguent de nombreux domaines, au vu de son caractère très pragmatique et concret d’attente de résultats. Nous sommes tiraillés par nos besoins, et nous organisons nos échanges, nos rencontres, nos relations en fonction de ces besoins. Trois grands besoins ont été identifiés par Eric Berne :
- Besoins de structuration : spatiale, temporelle
- Besoins de stimulation : intellectuelle, sociale, des sens
- Besoin de reconnaissance
Le besoin de reconnaissance est très structurant dans nos fonctionnements et nos relations aux autres. Nous sommes tiraillés par nos besoins et nous organisons donc nos échanges, nos rencontres, nos relations en fonction de ces besoins. Avec Des jeux et des hommes Berne, écrit la suite de l’ouvrage intitulé Analyse transactionnelle et psychothérapie. Il y décrit le besoin de structure et notamment celle liée au temps. Le temps, chez Berne, est le temps des interactions sociales, le temps, qui va servir individuellement, à capitaliser des avantages, à engranger des signes de reconnaissance. Le signe de reconnaissance n’est pas toujours positif. Une dispute c’est un signe de reconnaissance. Et nous préférons un signe de reconnaissance à l’ignorance. Donc ce que nous cherchons c’est de la relation à l’autre, de connexion à l’autre. Au sein de la famille, à l’école, dans nos loisirs, dans l’entreprise, et aujourd’hui via les outils informatiques. Les écrans ne sont qu’un prétexte, un support. Les écrans offrent une immédiateté, une spontanéité qui comble notre attention.
Déconnexion et reconnexion
En vingt-cinq ans le monde a changé. En dix ans, il a vraiment changé. Et nous aussi. Dans ces intervalles de temps, nous avons changé. Nous avons conservé une chose, ce sont nos valeurs. Elles sont les mêmes depuis vingt-cinq ans. La hiérarchie, l’ordre d’importance qu’on leur accorde est modifié. Et nos besoins, qui y sont liés, ont évolué, et évoluent en fonction de cette modification de hiérarchie. Pour avoir une lecture de nos changements, pour être en capacité de s’adapter à un monde qui change, il est essentiel de se connaitre, de connaitre ses besoins, ses valeurs. Savoir ce que nous voulons, savoir ce que nous voulons vraiment. Ça permet de nous adapter. Il est donc important de prendre du recul, faire un pas de côté, se déconnecter, se déconnecter des écrans et du flux d’information. Pour se régénérer, se ressourcer, pour se reconnecter à soi. Et mieux se reconnecter aux autres.
” L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant.” René Char